Séance plénière du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles du 2 avril 2014 – Intervention sur
la réforme institutionnelle
Débat sur les textes dits de la Sainte-Emilie qui consacrent la 6e réforme du côté francophone et scindent les principales nouvelles compétences entre Wallons et Bruxellois francophones
Nous vivons paraît-il un moment historique,
solennel. Mais je dois constater que c’est avec très peu d’enthousiasme. Peu
d’enthousiasme dans les
interventions de mes collègues – je n'ai pas vu de marque de joie et
d'espérance d'un avenir bien tracé pour les francophones –, peu
d’enthousiasme en termes de présence. Un
moment historique devant un hémicycle pratiquement vide. Une dizaine de députés
pour saluer cette solennité, c’est assez peu enthousiasmant.
Mon
groupe votera contre ces deux textes qui concrétisent les accords de la
Sainte-Émilie.
Je
ne sais s’il s’agit d’Émilie Jolie ou de Sainte Emilie de Rodat. Cette
dernière était fondatrice d’un ordre enseignant catholique. Cela explique
peut-être la dimension éducative (et catholique ?) qui aurait inspiré les
présidents de partis. Mais j’ai également lu qu’elle avait connu vingt ans de
souffrance morale. Sans doute connaîtrons-nous, nous, vingt ans de souffrance
institutionnelle ?
Cette
proposition et ce projet découlent du changement intervenu au niveau de notre
État fédéral. Ils matérialisent les conséquences de la sixième réforme de
l’État que nous subissons quasiment. Le centre de gravité se déplace de l’État
fédéral vers les entités fédérées, avec deux dangers : celui d’une
régionalisation progressive de la sécurité sociale, ouvrant la voie au
confédéralisme mais surtout, celui de l’appauvrissement collectif, spécialement
au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Commission communautaire
française aussi.
En
effet, les compétences transférées aux entités fédérées sont très importantes,
elles se chiffrent en milliards d’euros, 11 milliards d’euros. Mais elles sont
transférées sans tous les moyens budgétaires qui permettraient de continuer de
les assumer à politique constante. Les différents colloques et études menés
dans plusieurs universités, notamment par les professeurs Behrendt, Delgrange, Descamps, …ont tous mis en évidence les
dangers encourus pour les politiques communautaires et régionales ainsi que les
difficultés que nos institutions connaîtront.
Ce
moment est qualifié d’historique et de solennel. La réforme régionalise des
compétences devenues compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles et
rapatrie quelques petites compétences dans l’escarcelle de cette dernière. Tout
cela semble avoir été négocié dans la sérénité, avec beaucoup de bonne volonté
et un travail conjoint des quatre partis traditionnels.
Je
regrette que cette réforme historique ne soit pas accompagnée d’un rapport bien
concret et très complet sur ces négociations importantes. J’ai pourtant déposé
des questions écrites sur les participants de ces négociations, les secteurs et
les associations entendus, etc. Je n’ai reçu que des réponses évasives. On m’a
dit qu’elles réunissaient les présidents de partis, sous la houlette du
ministre-président, mais on laisse entendre que le simple parlementaire
– qui représente pourtant des électeurs – n’a pas à être informé de
leur contenu.
Je
regrette véritablement de voir uniquement ces quelques pages clôturer des
négociations d’une telle importance. J’aurais aimé recevoir un rapport complet
du gouvernement et des auteurs de la proposition de décret portant sur les
auditions, les questions posées ainsi que sur les chiffres. Je pense notamment
à ceux concernant les montants exacts transférés par matière, les biens meubles
et immeubles ou encore le personnel transféré. Un tel rapport aurait été
important sur le plan de la démocratie.
Je
souhaiterais rappeler la position adoptée en 2002, et répétée en 2007, par les
quatre présidents de parti : ils affirmaient qu'il n'était « pas
question de régionaliser tout ou partie de la sécurité sociale, en particulier
les soins de santé et les allocations familiales ». Avec la sixième
réforme de l’État et les accords de la Sainte-Émilie, vous êtes revenu sur cet
engagement. Pour sauver le pays ? Le sauve-t-on vraiment ? Est-ce la
dernière réforme institutionnelle ? Sans doute pas. Dans cette large part
de la sécurité sociale transférée vers les entités fédérées, les politiques
menées actuellement permettront-elles encore, demain, d'assurer le bien-être
des habitants ? J'ai vraiment des doutes.
J'ai
des doutes et je regrette de ne pas trouver, dans les propositions et projets
déposés, un bilan complet de la Saint-Quentin. Vous nous remettez des textes
sans avoir vérifié ni le bon fonctionnement de ce qui a été mis en place, ni
les difficultés financières qu'ont impliqués les accords de la Saint-Quentin,
en particulier pour la Commission communautaire française.
Suite
aux accords de la Siant-Quentin, un Comité francophone de coordination des
politiques sociales et de santé devait être mis en place. C’est un comité
mort-né que nous enterrons aujourd'hui. De nombreux signataires de l'accord –
notamment M. Grimberghs – avaient pourtant souligné son importance. Au
revoir donc le comité, bonjour la série de mesures plus contraignantes et son
lot de comités !
Cela
fonctionnera-t-il ? Je reconnais la volonté des négociateurs francophones
de mettre en place des politiques convergentes entre la Wallonie et Bruxelles,
mais le bilan du fonctionnement de ces quinze dernières années n'est pas
rassurant. Nous avons certes conclu de nombreux accords de coopération durant
cette législature mais je regrette que, très souvent, la Commission
communautaire française ne fasse pas partie des partenaires. C'était encore le
cas avant-hier à la Cocof, lors du vote d'un décret relatif à sa comptabilité.
Comment se fait-il qu’un tel partenaire, qui reçoit des compétences de la
Fédération Wallonie-Bruxelles, ne fasse pas partie du Walcomfin et de la
comptabilité de l'ensemble de la Fédération ? Il importe d'y penser à
l'heure où nous transférons ces compétences vers la Cocof et la Région
wallonne.
La
volonté d’étendre ces accords à la Commission communautaire commune pose
question. J’ai entendu les réactions de certains, dont Mme Grouwels et
M. Vanhengel, dès le lendemain des accords de la Sainte-Émilie. Et le
silence des négociateurs francophones répond à ces questions. Ce texte
n’apporte guère de réponses aux inquiétudes que suscitent la réforme et les
transferts de compétences parmi les associations et le personnel du secteur.
Comment vouloir un transfert vers la Cocof tout en incitant le secteur à
s’orienter vers la Cocom, par exemple en matière de santé mentale ?
Aucun
des quatre partis à l’origine de la réforme ne répond à cette question. Au lieu
de clarifier la situation, l’on poursuit la division des francophones entamée
en 1993, sans procéder à une évaluation des moyens humains et budgétaires
nécessaires pour couvrir les compétences essentielles transférées.
Je
terminerai par un point : la fixation des catégories de personnes
handicapées, transférée de la Fédération Wallonie-Bruxelles à la Région
wallonne et à la Cocof. Lors des débats autour des accords de la Saint-Quentin
sur les transferts de compétences, il avait été rappelé combien le maintien du
lien entre Régions wallonne et bruxelloise était essentiel. Un tel lien
était assuré par le Comité francophone de coordination des politiques sociales
et de santé, lequel disparaît, et par le fait que ladite fixation des
catégories relevait du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce ne
sera plus le cas et je le regrette. Cet élément figurera parmi ceux qui
diviseront Wallons et Bruxellois. Le service qui doit être rendu à tous les
francophones en pâtira pour son financement et à cause de la complexification.
Nous
voterons donc contre la proposition et le projet de décret.
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